RECIT DE JEAN-JACQUES
Lundi 20 août 2007, 19h50 Saint Quentin en Yvelines, Guyancourt
« On a beau être habitué, çà fait toujours quelque chose » me confie Michel Cordier.
Même si, comme Michel, on a bourlingué sur les routes on ne part pas pour un périple de plus de 1200 bornes la fleur au fusil.
Michel, ancien président de l’Audax de Tournai, est le premier belge à avoir accompli les 9 diagonales. A son cadre il a fixé une canne de marche qui l’aide à se déplacer lorsqu’il se déplace à pieds. Michel est en effet amputé d’une jambe, devant un tel exemple de volonté, l’on ne peut que relativiser les futurs moments difficiles que l’on peut être amené à connaître.
Au milieu d’un groupe de plus de 600 cyclistes constituant la première vague de départ, nous papotons tout en guettant le signal qui nous libèrera du stress qui, peu à peu, s’empare de chacun.
Des nuages noirs encombrent le ciel menaçant à tout moment d’éclater, le vent nous fait parvenir, par bribes, des échos de discours des officiels.
Edith fait travailler le numérique pour immortaliser ces instants.
L’attente de 2 heures séparant l’entrée dans le tunnel d’accès au « Gymnase des droits de l’Homme » de Guyancourt du départ va s’achever. A vrai dire elle est bien plus longue, elle est de plusieurs mois, voire d’un an.
Le Paris Brest est un objectif qui demande une longue maturation tant mentale que physique.
La préparation exige, outre l’accomplissement des brevets qualificatifs de 200, 300,400 et 600 Km, un entraînement régulier et assidu. Pour ma part je comptabilise 9700 Km au compteur 2007.
Après un départ à 22h en 1995 et deux à 5h en 1999 et 2003, cette année j’expérimente le 20h qui s’accompagne d’un délai maximum de 80 heures.
Pour l’occasion, à ma randonneuse traditionnelle, j’ai substitué le SCOTT en alu équipé de deux petites sacoches, une de guidon à l’avant et une autre, de selle, à l’arrière.
Avantages recherchés : le poids, les changements de vitesse aux poignées de freins, inconvénients : le confort moindre, l’absence de gardes boue qui cette année se seraient avérés utiles.
Contenu des sacoches : imperméable, gants longs, jambières, manchettes, pommade pour le fessier, du gâteau sport et quelques tubes d’ Overstim, des sachets de poudre pour boisson énergétique, téléphone portable, lunettes de vue et de soleil, documents de pointage, 3 cartes Michelin couvrant l’ensemble du parcours, à l’exception de la partie finistérienne que je connais bien.
Pour l’éclairage je reste un adepte inconditionnel de la frontale, j’y adjoins, en secours, une lampe fixée au cintre, à l’arrière 2 diodes rouges font l’affaire.
Par ailleurs les roues sont dotées de pneus Michelin neufs « Pro race » de 23, il ne faut pas mégoter !
20h : un coup de canon libère les encagés du premier sas.
Des motards ouvrent la route et les feux rouges sont neutralisés, il n’y a plus qu’à pédaler.
Comme à l’habitude dans ces départs massifs, pour éviter la chute, je reste bien à droite et démarre prudemment.
La vitesse est de suite élevée, furtivement, à la lueur des lampadaires, je consulte le compteur, il affiche entre 30 et 40Km/h, ne voulant pas me carboniser, je me laisse distancer.
Peu à peu nous nous extrayons des zones urbanisées. Je reconnais les endroits et en particulier les coups de cul émaillant cette partie du parcours entre Montfort l’Amaury et Gambais.
En dépit du temps incertain et abandonnant, pour l’occasion, les « prime time » télévisuels des gens nous encouragent sur le bord de la route.
Dans un village un type, solitaire, assis sur une chaise -émule d’Yvette Horner ?- joue de l’accordéon. L’accordéon et le vélo, peut être en raison de leur essence populaire, vont bien ensemble.
En tout cas ça me donne le moral.
Au fil des kilomètres, un petit paquet d’une dizaine de vélos roulant à la même cadence, se forme. Les relais alternent correctement, c’est tout bon, malheureusement pour moi une envie de pisser se fait de plus en plus pressante.
A regret, n’y tenant plus, je dois laisser filer le groupe.
Dans les longues lignes droites beauceronnes je le devine au loin, j’essaie un moment de revenir mais cela me coûte trop d’énergie, il faut savoir se raisonner et en garder sous la semelle.
Tout à coup un gros peloton me tombe sur le râble. Je suis littéralement avalé, je m’accroche histoire de voir, et j’ai vu ! Dans les côtes çà secoue un max, certains ont alors du mal à suivre, sur le plat je dois mettre la plaque, infernal, je sens que je vais péter une durite.
Au bout d’une dizaine de bornes de ce régime je me laisse éjecter, sinon je ne verrai pas Brest.
Je roule de plus en plus isolé, ce qui au demeurant ne me dérange pas. Outre le fait que j’aime rouler à mon régime, j’ai bien le parcours en tête et le fléchage est là, sécurisant.
La sortie de Longny au Perche se singularise par un « raidar » que l’on doit quasiment attaquer au point mort en raison d’une soudaine bifurcation à angle droit.
J’apprendrai plus tard que plusieurs concurrents rateront la flèche et auront ainsi l’occasion de s’aventurer, encore un peu plus, dans le Perche profond.
Au sommet de la bosse je m’accorde une petite halte, histoire de « manger un bout » comme dirait Robert, qui à cette heure doit roupiller dans son hôtel en attendant le départ de 5 heures, et de faire le point. Tout baigne.
La chaussée devient de plus en plus humide, témoignant d’averses récentes. Il ne fait pas froid.
Dans les rudes montées percheronnes je relève sciemment le pied, un leitmotiv, rester souple, ne pas faire le mariolle, ne pas se calciner.
Il est 1h20 quand j’arrive à Mortagne au Perche. Déjà de nombreux camping cars et voitures accompagnatrices jalonnent les derniers hectomètres précédant le contrôle ravitaillement.
Pas de musique bretonne cette année, comme en 1995, pour nous mettre dans l’ambiance.
Je m’accorde 10 minutes d’arrêt pour humer l’atmosphère de l’endroit et refaire les niveaux.
Nanti d’une bonne heure d’avance sur mon plan de route je repars confiant.
Les dernières heures de la nuit me sont toujours plus difficiles, je m’évertue à m’alimenter et boire régulièrement, je cogite. C’est fou ce qu’on peut cogiter en roulant !
De temps à autre des vélos me doublent, je n’essaie pas de suivre.
Soudain un cigare ambulant, que je n’ai pas entendu venir, me dépasse.
Il s’agit d’un vélo couché caréné, il doit au moins rouler à 40Km/h dans ces longs vallonnements qui précèdent Mamers alors que je m’échine péniblement à 20/25. Impressionnant !
En certains endroits, des sensations vécues lors des éditions précédentes se rappellent à moi. Les mollets ont de la mémoire.
Mardi 21 août 5 heures du matin, je pointe à Villaines la Juhel et m’envoie un solide petit déjeuner. Une demi heure d’arrêt et je reprends la route.
Toujours peu de vélos, en haut de la belle côte du Ribay- km 240-premier rendez vous avec les photographes de la maison Maindru qui flashent aux premières lueurs de l’aube.
Alternant moments où l’on a l’impression de pédaler dans la choucroute et périodes de facilité j’avance correctement. C’est dans la tête que ça se passe docteur. Ainsi j’avale le tronçon Gorron –Fougères à l’allure TGV servant de locomotive à une poignée de gus qui se gardent bien de prendre un relais.
Nous traversons la Tanière où la table est dressée avec café et boissons offerts gracieusement.
9h30, voici Fougères où j’ai prévu de prendre mon déjeuner. Ma stratégie consiste à faire un bon repas à intervalles de 150 Km, c'est-à-dire tous les 2 contrôles, et ne pas glander aux contrôles intermédiaires, donc prochain repas à Loudéac.
10h10, la sortie de Fougères s’avère toujours compliquée. Cette année elle s’orne de surcroît d’un vrai mur à escalader. Au retour son pendant inverse sera tout aussi musclé.
Fougères-Tinténiac est une petite étape, moins de 60 Km. A mi parcours je reçois quelques ondées, modestes au début elles se feront de plus en plus fortes.
Dingé- km355- les photographes Maindru saisissent des cyclos désormais « goretexés ».
(Rien à voir avec un film gore)
12h30 Tinténiac. Le parking vélos a changé de place. Le pointage et l’accès aux prestations nécessitent désormais une petite marche à pieds.
Des rumeurs circulent annonçant déjà de nombreux abandons, ce que confirment des infos inscrites sur un tableau.
N’ayant pas très chaud, je m’envoie deux doubles cafés, il pleut désormais sans discontinuer. Ce n’est pas le moment de mollir et de s’apitoyer sur son sort.
Quitter l’abri est le plus difficile. Les documents bien au sec dans la sacoche, je m’élance à 12h50, cap sur Loudéac.
Dans Bécherel, commune célèbre pour son relais de télévision véritable phare dans la nuit, mais aussi pour ses librairies, la côte est toujours là.
Un participant, vélo semi VTT avec guidon plat doté de prolongateurs, me dépasse.
Il se retourne, dévie à gauche et manque de tomber pour rétablir sa trajectoire.
Un peu plus haut, rebelote, cette fois ci il accroche le trottoir et tombe lourdement.
Je m’arrête à sa hauteur, c’est un solide allemand d’une trentaine d’années qui ne parle pas un mot de français et comme de mon côté la langue de Goethe m’est étrangère on baragouine un mélange d’anglais.
Le type est furax, non pas pour son intégrité physique, mais pour son dérailleur qui fixé dans un des prolongateurs s’est tordu.
Je le laisse, il me doublera comme une bombe, avec un petit signe de connivence, 30 Km plus loin.
Km 391, au sommet de la bosse en sortie de Quédillac 3ème rencontre avec les représentants de la maison Maindru . Il pleut à seau.
J’observe une pause dans un abri bus à l’entrée Saint Méen le Grand, la patrie des frères Bobet, un musée consacré à Louison y a vu le jour en 1994.
Au sec dans mon abri, je me positionne durant quelques instants en observateur des cyclistes luttant contre les éléments. Y a pas à dire il faut en vouloir !
Le ciel restant chargé et ne laissant pas entrevoir d’amélioration, je repars.
A Ménéac je me faufile à travers les gens se pressant à l’entrée de l’église pour des obsèques. Je ne peux m’empêcher de songer à la singularité de la situation et d’avoir une pensée pour le défunt inconnu.
Plumieux, la Chèze, je commence à mollir sérieusement dans l’approche de Loudéac. Si sur le plat on peut donner le change, les bosses constituent le révélateur impitoyable de la condition du moment.
Loudéac, atteint à 17 h15, est le centre névralgique de l’épreuve où l’on se croise et se décroise.
Au réfectoire mon compagnon de table, qui en est sa première tentative, doute de ses chances de réussite. Un collègue essaie de lui remonter le moral.
L’estomac calé, il est 18h quand je pars à l’attaque des terribles côtes qui « agrémentent » les 20 prochains Km. La pluie s’atténue au point de s’arrêter totalement peu avant Corlay siège d’un contrôle secret.
Je profite de l’arrêt pour allumer le mobile. Un message, c’est Yves qui m’apprend son abandon à Loudéac. Un coup de fil à Loperhet, où je dois dormir, pour informer que je suis dans les temps prévus et un autre à mon cousin Patrick de Guipavas pour lui fixer rendez vous demain matin.
Un petit groupe s’est formé avec en particulier 2 cyclos de Grenoble qui feront étape à Carhaix.
A l’entrée de Plounévez- Quintin nous croisons un peloton d’une grosse vingtaine d’éléments, ce sont les cadors qui remontent sur Paris.
Le Finistère a bien fait les choses, les routes y sont sèches, çà roule ma poule.
22h10 j’arrive dans Carhaix. Conformément à ma stratégie j’y observe un bref arrêt. J’évolue maintenant sur des routes que je connais par cœur.
A l’attaque de la rampe de Poullaouen, tout va bien. Avant Huelgoat la route longe la rivière l’Argent, quelques rares cyclos me doublent, je suis soudainement incapable de les suivre. Je réalise alors que j’ai un passage à vide, plus de gaz et une envie de dormir de plus en plus obsédante. Je m’allonge sur un muret durant un gros quart d’heure et repars ; j’ai beau me secouer la paillasse je ne retrouve pas le coup de pédale.
L’ascension du Roc Trévézel s’avère laborieuse, vivement que je bascule vers Sizun.
Le carrefour du Queff amorce la boucle brestoise, encore quelques kilomètres et je vais me glisser dans un bon lit!
Patatras, je passe sur un caillou et éclate à l’arrière, pincement de la chambre.
Du coup je suis réveillé, 20 minutes pour réparer dans la nuit s’en suit une montée d’adrénaline.
Quasi en kamikaze j’entre dans ma commune natale, Loperhet. Il est 2h40. Yvette m’attend et me donne des nouvelles concernant mon frère Daniel parti avec les 22h.
Casse croûte, douche et dodo.
Mercredi 22 août, 6h00, je me réveille à la sonnerie du portable et enfile une tenue propre tirée du paquetage laissé en dépôt un mois avant. L’habit dit on ne fait pas le moine mais en ces circonstances il fait le cycliste. On se sent de suite un autre homme. Le petit déjeuner est déjà prêt. Jean, un copain, me fait la surprise de sa visite, puis voici ma fille Nolwenn en vacances chez sa grand-mère.
C’est fou ce que le temps passe vite, il ne faut pas se disperser et penser à tout. Je dis au revoir à tout le monde, ma mère me trouve toujours aussi déraisonnable, et à 7h20 je repars.
En principe il me faut ¾ d’heure pour rejoindre Brest, le contrôle fermant à 8h35 je me réserve une petite marge de sécurité.
Le pont Albert Louppe franchissant l’estuaire de l’Elorn est, depuis 1995, interdit aux engins motorisés. Le magnifique point de vue justifie la sortie des numériques.
Brest, la cité du Ponant, marque le point du retour. Le contrôle jouxte le stade Francis le Blé chargé du souvenir des terribles soirées de matchs de foot quand le Stade Brestois évoluait au plus haut niveau.
Arrêt de 10 minutes et je me dirige vers Guipavas. Comme convenu, Patrick m’y attend, appareil photo en main.
J’enregistre mon record de vitesse dans la plongée sur Landerneau, il fait soleil, le moral tutoie le zénith.
La boucle terminale, ouverte au Queff, s’y referme, étonnant non !
Maintenant je croise la cohorte ininterrompue des cyclos roulant vers Brest en cherchant à y reconnaître des collègues.
A Sizun, il règne une sympathique animation au pied de l’arc de Triomphe de l’enclos paroissial. Je me laisse tenter par la boulangerie et profite de cette pause pour me mettre en tenue d’été : cuissard et manches courtes.
Une légère brise vent pousse au cul, dans la montée vers le Roc. A moitié allongé dans les fougères du bas côté de la route, je reconnais la crinière blanche d’André Tignon, correspondant du Cycle, photographiant au ras du bitume.
Mais voici Robby de Gap qui descend en face. On s’arrête pour échanger les nouvelles.
Plus loin c’est Carole qui me dit bonjour. Dans la descente du Roc je croise le tandem des Battu de Grenoble et je retrouve mon frère, il semble bien. On se donne rendez vous à l’arrivée. Dans les montagnes russes précédant Carhaix les bonnes sensations perdurent.
A 12h15, me voici dans la capitale du Poher, au parking vélos une voix m’interpelle c’est celle de Yves. Après son abandon à Loudéac il voyage dans le camping car d’assistance de cyclos vannetais.
Au self rapide nous avalons un sandwich arrosé de coca colaAvant de repartir il me prête une chambre à air, ainsi j’en ai à nouveau deux en réserve.
14h00 : la route reprend ses droits. Je roule la plupart du temps seul. Avant Saint Martin des Prés je ne résiste pas l’invitation de 2 enfants, frère et sœur, qui offrent des crêpes dentelles pur beurre. On ne se refait pas.
L’approche de Loudéac par Merléac, Grâce Uzel, Trévé que je redoutais pour sa rugosité se passe correctement.
Le car d’assistance espagnol, aperçu à l’aller, stationne toujours à l’entrée de la ville.
Le casse croûte et les formalités de pointage me prennent ¾ d’heure, à 18h je remonte sur la machine.
Dans les lignes droites avant Ménéac je reste scotché par un peloton d’italiens, reconnaissables à leurs maillots et à leur volubilité, chassant derrière un japonais survolté. Saké soirée !
A la sortie du bourg je reconnais Michel, le belge de Tournai, arrêté à une table de ravitaillement.
Illifaut abrite un contrôle secret pour les novices, mais connu de tous les anciens participants
Au moment de repartir voici qu’arrive Michel. Je prends de ses nouvelles, il souffre au niveau de son moignon et doit s’appuyer sur sa canne pour gagner la table de marque, néanmoins il conserve le moral. Il accomplira le parcours en 80h.
Le mauvais temps me surprend vers Bécherel ce qui m’incite à souquer ferme pour, au plus vite, rejoindre Tinténiac distant d’une dizaine de km.
Je pointe à 22h10.
Au réfectoire je retrouve Yves avec qui je partage le repas. Je me cale bien l’estomac pour affronter la nuit, mon plan consiste en effet à remonter sur Paris d’une traite.
J’enfile l’équipement ad’ hoc, jambières gants longs etc. et à 23h10 repars direction Fougères.
A peine le temps de quitter les lieux que les vannes célestes s’ouvrent en grand.
Au fil des kilomètres je perçois cette désagréable sensation de l’eau qui s’infiltre dans les chaussures, le cuissard, les gants.
J’entre dans Fougères, trempé jusqu’aux os. A la lueur d’un lampadaire je me mets minable pour éliminer un frottement suspect que je finis par localiser au niveau de la roue avant.
Dans la salle de contrôle, peu de monde, quelques cyclos dorment à table, la tête enfouie dans les bras.
Les 2 bénévoles du bar comparent les avantages et inconvénients du camping car.
Jeudi 23 août, 2h20, après un double café, je me dois de faire violence pour quitter la tiédeur de l’endroit.
Dehors çà ne s’arrange pas, je traverse la ville en suivant, à distance, le feu rouge d’un vélo.
Alors qu’avant Fougères et en dépit du temps, j’avais la frite, je sens que ma pédalée manque de ressort.
Un arrêt de 10 minutes n’y faisant rien je me décide à faire une halte prolongée à la Tannière.
Une lampe éclaire l’entrée d’une grange dotée d’un écriteau indiquant qu’il s’agit là d’un dortoir pour les cyclos du Paris Brest.
Je tire le verrou, personne à l’intérieur, des matelas avec couvertures sont disposés sur de la paille, une table avec boissons et un livre d’or complète le mobilier.
Sans avoir trouvé le sommeil durant l’heure que je m’étais octroyée je repars, non sans avoir mis un mot de remerciement sur le livre.
Rien à faire, je ne retrouve pas la cadence, les quelques minutes d’arrêt sur la place centrale d’ Ambrières les Vallées n’y changent rien.
J’ai envie de café et de croissants.
Quelques cyclos noctambules errent ici et là, un corps est affalé dans le sas d’une banque.
A Charchigné, une quinzaine de bornes avant Villaines, je me réfugie sous un genre de préau, assis à même le ciment, le dos calé au mur, je somnole.
Les bruits de vélos passant à côté me tirent de mon demi sommeil, il fait maintenant jour.
Quelques sensations fugaces m’indiquent que le tonus revient, je passe mieux les côtes. La pluie, toujours présente, redouble à l’entrée dans Villaines que j’atteins à 8h20.
Il m’aura fallu 6 heures pour accomplir 88 bornes.
Enfin voici le petit déjeuner auquel j’aspirais tant.
Le temps semble se dégager quand, à 9h, je quitte le point de contrôle, sans conteste le plus animé et le plus convivial de l’épreuve.
La localité s’est véritablement mise en quatre pour accueillir les cyclos.
Averton, les éclaircies semblent avoir gagné la partie, j’en profite pour me dégager de la gangue humide de mes vêtements et mettre mon épiderme à l’air comme dirait Vélocio.
Après Fresnay sur Sarthe je me joins momentanément à un trio de belges, fort diserts, pour négocier les grands vallonnements caractéristiques qui mènent à Mamers.
A la sortie de la ville, un feu passe à l’orange. En queue de peloton, je m’arrête et voit les autres continuer tout droit.
En repartant je constate que le fléchage indique la route à gauche, en groupe de telles erreurs de navigation ne sont pas rares. Derrière on fait aveuglément confiance à ceux de devant. Des débours de 30 km et plus, surtout la nuit, ont ainsi été notés.
Il est 13h10 quand j’en finis avec la rude montée débouchant sur le contrôle de Mortagne. Mortagne se glorifie du titre de capitale mondiale du boudin, fleuron de la gastronomie percheronne
Délaissant le jambon braisé, une autre spécialité charcutière, je m’octroie des pâtes sauce bolognaise que je pense plus appropriées. A table je n’ai plus très faim mais je m’oblige néanmoins à terminer mon assiette, il faut prévenir la panne d’énergie.
Avant de repartir je passe par l’antenne du vélociste afin de lubrifier la chaîne du vélo que la flotte a délavée.
La remise en route se fait prudemment, à allure moyenne, sur la Michelin j’avais dénombré cinq côtes avec chevrons sur les 18 Km séparant Mortagne de Longny.
La Ferté Vidame est une petite ville historique avec de magnifiques ruines d’un château où habita le duc de Saint Simon aux célèbres Mémoires.
Sa traversée ne m’aiguillonne pas particulièrement car quelques kilomètres plus loin une envie de sieste, résultat d’une vacuité mentale persistante, me prend.
Je guette un coin propice pour m’allonger mais les banquettes herbeuses en bord de route restent désespérément humides et peu hospitalières.
Finalement je m’arrête sous de grands arbres, à la sortie de Brézolles, pour me détendre et grignoter quelques provisions de bord.
J’en profite pour regarder passer les vélos. Je repère ainsi deux maillots du club de Bourges, l’un est porté par Dominique Lacroix dont les parents font également l’épreuve.
Les nuages qui peu à peu envahissaient le ciel finissent par s’exprimer. Inutile de rester là plus longtemps.
Les longues lignes droites monotones menant à Dreux s’avèrent rugueuses et chargées en trafic.
La pluie qui à présent tombe dru a le mérite de me réveiller totalement et de raffermir ma cadence.
Arrêtés sur le bas côté les deux berruyers, aperçus il y a peu, s’affairent pour réparer une crevaison.
Le gymnase de Dreux accueille les participants en musique. Il y fait d’autant plus bon, que dehors la pluie ne faiblit pas.
Plus on s’attarde plus c’est difficile pour repartir, aussi je ne traîne pas trop, dès les formalités de pointage accomplies et les niveaux refaits dans les bidons je m’élance.
Il est 18 heures quand j’attaque la butte où se situe la ville haute.
Sorti des embarras urbains, je me retrouve sur des petites routes zébrant une campagne manquant pour le moins de pittoresque.
La pluie torrentielle a saturé les fossés qui débordent sur la chaussée maculée de boue.
Dans une forme qu’il me semble ne pas avoir connu depuis le départ, en pleine euphorie, j’écrase les pédales.
Je ne rencontre plus que quelques rares cyclos, de Dreux à Saint Quentin je n’en verrai pas une dizaine.
Maintenant il me faut surtout bien repérer les flèches dans les patelins et éviter les erreurs de parcours. J’ai encore en mémoire celle de 1995, survenue en pleine nuit, dans la région.
Condé sur Vesgre marque les retrouvailles avec le trafic. Les voitures dégagent de véritables geysers sur leur passage.
Fort heureusement après Gambais on quitte cet axe pour une route plus calme s’engageant dans la forêt de Rambouillet.
Je mets tout à gauche pour m’arracher de la côte de Gambaiseuil et me propulser sur le plateau de Montfort l’Amaury.
J’égrène les localités comme les grains d’un chapelet.
Au sprint je négocie la côte d’Elancourt pour débouler dans Trappes.
Je termine en vouant aux pires gémonies, les nombreux feux rouges, qui dans les ultimes kilomètres, me casent la cadence.
Peu de monde dans le gymnase, 21h17 est l’heure indiquée sur ma carte de route.
Je reçois les félicitations d’Alain Schauber, éminent diagonaliste qui a effectué le parcours en moins de 49H, et de son épouse.
Peu après je retrouve Edith, qui, au regard de mon temps de passage à Dreux, ne m’attendait pas si tôt.
A la satisfaction d’avoir réussi se mêle déjà une petite pointe de nostalgie à penser que l’aventure vient de s’achever.
Quelques réflexions
Après 4 PBP il me sera toujours aussi difficile de conseiller un futur participant sur la stratégie à adopter.
C’est à mon sens une épreuve à affronter seul ou avec un équipier avec lequel on a l’habitude de rouler.
A plusieurs les problèmes s’additionnent.
Avoir confiance en soi, être doté d’un moral en béton, savoir négocier les passages à vide- ceux-ci sont rarement définitifs- sont les meilleurs garants de la réussite.
Après avoir testé les différents départs, 20h, 22h, 5h je pencherai pour le 20h.
La contrainte majeure de départ est le délai accordé, limité à 80h, ce qui suppose de faire attention à ne pas gaspiller de temps.
Dans ce but disposer d’un plan de route apparaît utile on a ainsi, en permanence, la situation sous contrôle.
L’avantage principal réside dans des contrôles peu chargés.
A titre personnel l’édition 2007 reste, avec 1999 réalisée avec Daniel Bonnay, celle que j’ai la mieux maîtrisée.
Le mauvais temps m’a « plombé » durant la nuit sur le secteur Tinténiac - Vilaines, par contre il m’a évité les irritations du fessier et surtout l’échauffement des pieds qui par le passé m’avait valu de souffrir mille maux.
Jean Jacques